Samedi 20 octobre
Livre de la semaine
le tutu
Princesse Sapho
Tristram
Loufoque, provocant, iconoclaste… Les adjectifs se multiplient pour tenter de qualifier Le Tutu, chef-d’oeuvre anonyme du XIXe siècle signé d’une mystérieuse Princesse Sapho, roman de moeurs où s’agitent des personnages monstrueusement extravagants.
Tel le héros, Mauri de Noirof. Après avoir épousé une riche héritière obèse et alcoolique, il engrosse une femme à deux têtes qui officie dans un cirque. Sans renoncer à ses errances parisiennes, devenu père d’un fils à quatre têtes et huit bras qu’il allaite, Mauri met au point un procédé de train à grande vitesse. Grâce à quoi il devient député puis ministre de la justice, tout en s’adonnant avec sa mère à des festins de résidus humains au cours desquels il lui lit les Chants de Maldoror. Avant de parvenir avec elle à la « la grande orgie impossible à Dieu »…
Texte sulfureux, objet littéraire non identifié (OLNI) au destin chaotique, roman précurseur qui annonce Alfred Jarry, les dadaïstes et le surréalisme, Le Tutu fut publié en 1891 et passa totalement inaperçu de ses contemporains. Et pour cause. Son éditeur, Léon Genonceaux – qui venait de publier coup sur coup Les Chants de Maldoror, de Lautréamont (1890) et Reliquaires, de Rimbaud (1891) – était un homme aux abois. Poursuivi par la police et les créanciers, il se réfugia en Belgique avant même que Le Tutu ne fût diffusé.
Tombé dans l’oubli, Pascal Pia le redécouvre « par hasard » en 1966, ainsi qu’il le raconte dans un article de La Quinzaine littéraire. Il tenta alors de faire rééditer ce livre dont seulement cinq exemplaires de l’édition originale subsistent dans des collections particulières. En vain.
Finalement, c’est en 1991, cent ans après sa parution, que les éditions Tristam le publièrent. La même maison en propose aujourd’hui une nouvelle édition accompagnée d’un long extrait de l’article de Pascal Pia, d’un texte inédit de Julian Rios ainsi que l’enquête menée par Jean-Jacques Lefrère, grand spécialiste de Lautréamont et de Rimbaud pour démasquer son auteur. Pas plus que d’autres exégètes avant lui, il n’est parvenu à l’identifier. Son enquête passionnante a notamment le mérite de démonter la thèse de Pia selon laquelle Léon Genonceaux serait l’auteur du Tutu. Elle ouvre surtout de nouvelles pistes.
Mais Le Tutu, sous ses volants extravagants, peut bien garder tout son mystère… pour le plus grand bonheur des amateurs d’ « aérolithes » littéraires.
Christine Rousseau
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