« Quand une guerre éclate, les gens disent : “Ça ne durera pas, c’est trop bête.” Et sans doute une guerre est certainement trop bête, mais cela ne l’empêche pas de durer. La bêtise insiste toujours, on s’en apercevrait si l’on ne pensait pas toujours à soi. Nos concitoyens à cet égard étaient comme tout le monde, ils pensaient à eux-mêmes, autrement dit ils étaient humanistes : ils ne croyaient pas aux fléaux. Le fléau n’est pas à la mesure de l’homme, on se dit donc que le fléau est irréel, c’est un mauvais rêve qui va passer. Mais il ne passe pas toujours et, de mauvais rêve en mauvais rêve, ce sont les hommes qui passent, et les humanistes en premier lieu, parce qu’ils n’ont pas pris leurs précautions. »
Monsieur le maire, je porte à votre attention le fait que les clairs de lune ne sont plus à la hauteur de ce qu’ils étaient. De ma fenêtre, je ne vois plus rien briller, seulement des nuits noires de crime. C’est effrayant. Pouvez-vous intervenir pour que cesse ce scandale?
Monsieur, je dois vous rappeler que c’est de votre plein gré que voici trois ans vous avez choisi de vous enterrer dans le jardin de la mairie pour protester contre la prolifération de taupes dans votre propriété. Je vous propose simplement de sortir de votre galerie.
Maire, je reconnais bien là votre mauvaise foi, vous savez pertinemment que ce sont vos services municipaux qui ont badigeonné de noir les vitres de ma maison rendant mes jours plus noirs que vos nuits. Il s’agit, comme vous ne pouvez le nier, d’une sombre vengeance en réaction à mes révélations sur la réintroduction illégale de taupes d’origine slovène dans notre région.
Monsieur, je suis au regret de citer le rapport médical vous concernant datant du jour précédant le creusement de votre galerie sous la pelouse municipale. Vous aviez accroché une banderole sur la façade de la mairie proclamant : « les taupes ne seront jamais des modèles ! ». Voici ce qu’écrivait l’expert psychiatre : « Individu souffrant de paranoïa associé à une phobie portant singulièrement sur les talpidae. A priori, il y a peu de risque de comportement inadapté si rien ne vient réactiver cette phobie. Je propose toutefois une thérapie de groupe , cette pathologie étant extrêmement rare, je l’intégrerai au groupe des E.T.C. (Espions Timides Claustrophobes) du samedi matin. » Je ne peux que vous demander d’accepter cette proposition de soins.
M…, votre aveuglement me pousse à l’action, dés demain matin j’abattrai une taupe toutes les heures, (A la quatrième taupe, il sera exactement midi ; on peut être terroriste et avoir de l’humour) jusqu’à ce que vous reconnaissiez votre responsabilité dans la transformation de nos campagnes en gigantesque gruyère. En outre, je demande le regroupement de toutes les taupes sans terrier à La Souterraine dans la Creuse.
C’est l’escalade, mais j’accepte sans conditions votre ultimatum.
Ce retour à la raison vous honore et pour la première fois, j’aperçois un rayon de lune, une éclaircie, le bout du tunnel dans le train-train de mes jours à l’ombre…
Interrogeait récemment le mensuel la coquille. En effet, les escaliers dont ils sont les concepteurs sont accusés de provoquer des vertiges et sont de plus en plus remplacés par des échelles à meunier, plus directes. Les escargots, déstabilisés, envisagent de manifester samedi prochain, sous la pluie. Une démonstration de force qui inquiète le gouvernement. Pour éviter l’escalade et enrayer la spirale de la violence, leur porte-paroles a proposé un compromis. Un escalier quart tournant limitant le tournis mais permettant d’en baver quand même jusqu’au troisième étage, serait à l’étude .
Ce grand myope pense avoir tué un éléphant. En réalité, il s’agit d’un énorme papillon dont les larges ailes grises ont dû le tromper.
De plus, les papillons possèdent également une trompe. Leur barrissement, bien que moins effrayant, n’en est pas moins audible certains soirs d’été si on a sous la main une oreille d’éléphant.
« Il venait de se passer tant de choses bizarres, qu’elle en arrivait à penser que fort peu de choses étaient vraiment impossibles » Lewis Carroll
M.C.Escher
A l’impossible, nul n’était nu
« L’été, la nuit, les bruits sont en fête » et même le glissement sensuel d’une sangsue sans dessus ni dessous descendant le sentier sinueux de la sierra Santa Susanna se perçoit. (la sangsue est un animal trop peu reconnu dans les romans et autres fables, j’espère la réhabiliter un tant soit peu. Celle-ci se nomme Hirudinea, Anne-So pour les intimes.) « Bon sang, je suis super en retard » s’écrie t-elle soudain, « Que va penser le lapin blanc que je dois saigner à seize heures douze? » « J’ai la solution, l’escalier d’Escher! » L’escalier à tout faire, sens dessus dessous, une échelle à manier sans escale à tord et à travers le plafond. Une transparence folle et logique à la fois, un lieu où nul n’est tenu et tombe dans le vide des possibles, où chacun trompe l’œil de l’autre sous le regard éteint de poissons ailés bicolores. Un univers de faux semblants, attirant de biens réelles interrogations. Sang blanc! Revoilà Hirudinea, en alerte et toutes dents dehors car le lapin d’Alice a l’heur d’être au rendez-vous. Et puis, tout bascule, le chat du Cheshire sachant sourire se lance à la poursuite d’Anne-So qui, suant sang et eau, se réfugie dans le chef du chapelier fou. Nous étions pourtant prévenus, c’est toujours plus compliqué que ça. Les nuages sont en réalité très lourds et les enclumes se sont envolées. En avez-vous vu récemment? Parenthèse: Avec une densité d’eau d’environ 0,5g/m³ un nuage de 100 km³ peut peser jusqu’à 500.000.000 kg. C’est dire si nous sommes héroïques, allongés sur nos bains de soleil, ignorant crânement la ouate qui se forme au-dessus de nos fronts de mer. Fin de la parenthèse qui, vous le noterez, se referme sans bruit. Je l’ai huilée ce matin. Bref, tout cela n’inquiète personne, le parapluie de monsieur Hulot se déploie au-dessus de la machine à coudre de Denis Papin sur une table de dissection et, bien entendu, vous trouvez cela naturel. Et cela l’est, en effet, il s’agit seulement de notre volonté de l’écrire. Quoi d’autre? Chercherons-nous un sens au risque de tomber en panne d’imaginaire? Au risque de figer notre précieuse pensée dans un réel de grande randonnée bien balisé? Le rouge et le blanc ne nous siéent point, pas plus que la sotte scie de la censure tout juste bonne à débiter des animaleries et des planches de brouette. Tiens! la voilà, celle qui va m’éviter de tourner en barrique, mais qui ne nous évitera pas la chute. Elle nous portera, n’en doutons pas, une oreille attentive que la sangsue s’empressera de vider de toutes confidences.
Juin gémit comme une porte qui grince Qui ouvre sur un été incertain Un avenir déjà passé, fané de ce printemps confiné Un été en pente dure Un été fragile cherchant l’étai qui le fera aller jusqu’à la rentrée Pouvons nous être et avoir l’été?
Il a trouvé… Pour ne pas vieillir seul, il chante, il psalmodie plus exactement; sans cesse. C’est une mélopée lancinante qui le berce, l’enveloppe, le précède dans les couloirs ou le suit, traverse la porte de sa chambre. Les vibrations sonores le protègent du monde, le font encore exister et respirer. Un sourire permanent et léger flotte sur son visage. Il a trouvé sa petite musique de vie.
Invader, son portrait souriant du Dalaï-Lama, composé de 400 Rubik’s Cubes made in China (format 111cm x 111cm), résonne comme une icône du sourire, avec celle de sa Joconde.
« Cette tartelette n’est pas un gâteau mais une sorte de petit tourteau ayant l’apparence, et quelquefois le goût, de la tarte aux abricots ou aux quetsches; c’est pourquoi on lui a donné ce nom plutôt que celui de « tourtelette », que préféraient (et promouvaient auprès de l’Académie avec des arguments solides) quelques érudits de Perros-Guirec, qui est le port au large duquel sont pêchés ces petits crabes à la carapace très épaisse. Un régiment du Trégor qui a combattu sans poudre ni cartouches à Saint-Cast (11 septembre 1758) a utilisé ce jour-là dix mille de ces tartelettes comme projectile à main, avec un tel-à propos et une telle efficacité qu’en un quart d’heure il enfonça le centre ennemi et que les français remportèrent une victoire nette et peu disputée, de l’aveu même de l’infortuné général Thomas Bligh (fils de l’honorable Thomas Bligh) qui reçut coup sur coup deux tartelettes, dont l’une brisa son épée et l’autre tout espoir d’engendrer un autre Thomas Bligh, alors qu’il attendait l’issue de la bataille perchée sur une branche de son arbre dit généalogique (en fait, un pommier tiré du verger familial), amené tout exprès d’Irlande dans une caisse à oranger. cet arbre, abandonné sur la plage lors du rembarquement des débris de l’armée anglaise, fut longtemps exposé dans l’église de Saint-Cast et recouvert d’ex-voto, avant d’être détruit en 1924 par l’ardeur excessive avec laquelle s’y frotta une femme stérile échappée de l’asile de Dinard, qui pensait par ce moyen devenir grosse d’une quinzaine de tartelettes dont elle attendait la respectabilité bourgeoise qui, disait-elle, avec beaucoup d’amertume, lui avait toujours été refusée, quoique fille coiffée à la mode de Carhaix, large de hanches, possédant deux châles de Pondichéry et belle assez. »
Pierre Lafargue – AVENTURES – Editions vagabonde
WAR – Base Sous-Marins de Lorient 2013 // photo avril 2015 @vidos – street-art-avenue
Les pensionnaires de la maison de retraite ont fini par ressembler à l’étang qui la jouxte.
Même attente sans objet, même silence et des rides viennent parfois trembler à leurs surfaces.
Paul Cézanne, L’Étang des Sœurs à Osny près de Pontoise, 1877
Elle se débattait dans une odeur épouvantable
Tentant d’échapper au lien qui entourait son cou
Lorsqu’il parvint enfin à enrouler plusieurs fois le fil autour du sac
Il fit un nœud rapide et jeta la poubelle rebelle dans un container
« Avec le naturel des saisons qui reviennent, chaque matin des enfants se glissent entre leurs rêves. La réalité qui les attend, ils savent encore la replier comme un mouchoir. Rien ne leur est moins lointain que le ciel dans les flaques d’eau. Alors, pourquoi n’y aurait-il plus d’adolescents assez sauvages pour refuser d’instinct le sinistre avenir qu’on leur prépare ? Pourquoi n’y aurait-il plus assez de jeunes gens assez passionnés pour déserter les perspectives balisées qu’on veut leur faire prendre pour la vie ? Pourquoi n’y aurait-il plus d’êtres assez déterminés pour s’opposer par tous les moyens au système de crétinisation dans lequel l’époque puise sa force consensuelle ? »
« Le respect est le fin mot d’une société où tout et n’importe quoi, en effet, est respectable, où chacun la ferme, où nous vivons dans une sorte de révérence universelle, de consensus béat, tout est bel et bon, et des goûts et des couleurs, pas la peine de discuter ; grâce à cela, les plus forts sont sûrs de gagner, et l’industrie de la sous-culture s’est débarrassée des gêneurs…
Il ne viendrait pas à l’idée des tenants du respect universel que respecter les gens, c’est les croire capables de s’ouvrir au débat, voire à l’humour et à l’ironie, sans se crisper sur «c’est mon choix, respectez-le ». Que ne pas les respecter, c’est précisément les considérer comme des braves imbéciles à qui on va faire avaler n’importe quoi, notamment une littérature formatée, insipide, bébête. Que le règne de la promotion universelle ne respecte qu’une chose, l’argent…
La tiédeur et la prudence sont rarement des signes d’amour. Notre époque préfère le respect à la passion. »
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